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Posté par docteurboudarene dans : interviews , , trackback

C’est sous ce titre qu’a été publié ce jour, 20 mars 2014, l’entretien que j’ai accordé au journaliste Noureddine DOUICI du quotidien El Watan. Cet entretien a été légèrement  réduit sans doute pour des raisons d’espace. Ainsi, le passage relatif à la loi 85-05 portant protection et promotion de la santé, notamment ce que dit son article 21, a été supprimé. Ce que je trouve dommage, dans la mesure où il met en évidence l’obligation qui est faite à l’Etat de mettre tous les moyens indispensables pour bien prendre en charge la santé du citoyen. La prise en charge à l’étranger, quand les soins ne peuvent être donnés dans notre pays, constitue un de ces moyens. Le citoyen, informé de cette loi, a ainsi à sa disposition l’instrument juridique pour exiger ses droits.

Je livre aux lecteurs de mon blog l’interview telle que je l’ai envoyée au journal.

1 – La sécurité sociale est un droit pour tous les algériens. Malheureusement on constate que de plus de plus de malades nécessitant un transfert à l’étranger ne sont pas pris en charge par la caisse nationale (CNAS), et ce, même s’ils souffrent de maladies qui ne sont pas soignées dans notre pays. Qu’en pensez-vous ? 

Ce n’est pas la sécurité sociale qui est un droit, c’est l’accès à des soins de qualité qui l’est. Je crois que c’est comme cela qu’il faut appréhender ce problème. Je voudrais rappeler à vos lecteurs – pour que chacun connaisse bien ses droits – que la constitution algérienne, par son article 54,  « garantit la protection de la santé pour tous les citoyens » et, que par son article 67, elle impose à l’Etat « à prendre en charge gratuitement les problèmes de santé du citoyen ». Des dispositions de la loi fondamentale de notre pays reprises par, d’une part, la loi 73-65 du 26 décembre 1973 qui a instauré, depuis quarante ans, la médecine gratuite et, d’autre part, par la loi 85-05 du 16 février 1985 relative à la protection et à la promotion de la santé qui organise, par son chapitre III (articles 20, 21 et 22), les modalités d’application de la gratuité des soins.

Je pense qu’il n’est pas inintéressant, au regard de votre préoccupation du moment, de souligner ce que dit l’article 21 : « l’Etat met en œuvre tous les moyens destinés à protéger et à promouvoir la santé en assurant la gratuité des soins ». Cet article est on ne peut plus clair. Les soins doivent être donnés gratuitement quelles que soient les circonstances. Autrement dit, si pour une raison ou une autre, ceux-ci (les soins) ne peuvent pas être prodigués dans nos hôpitaux – l’Etat étant tenu de tout mettre en œuvre pour protéger et promouvoir la santé du citoyen -, le transfert à l’étranger est dans ce cas un droit pour le malade et une obligation pour l’Etat. Ce qui ne se fait pas. Je considère, en ce qui me concerne, que les pouvoirs publics algériens violent systématiquement la loi en ne mettant pas, justement, tout en œuvre pour donner les soins indispensables à nos concitoyens malades du cancer, par exemple, en particulier ceux qui nécessitent des cures de radiothérapie. Lesquelles cures, chacun le sait, ne sont pas accessibles pour tous dans notre pays. J’ai bien conscience qu’il n’est pas évident d’envoyer des milliers de malades à l’étranger pour des cures de ce type. Pour autant, la loi le commande et l’Algérie en a les moyens financiers… Une violation flagrante de la loi et une non-assistance à personne en danger. Je ne pense pas faire dans la surenchère en posant le problème en ces termes. Ces pourquoi, les citoyens doivent connaître la loi et avoir entre les mains les instruments juridiques indispensables pour défendre leurs droits et agir en conséquence quand ceux-ci (leurs droits) sont bafoués ; notamment par l’Etat, parce que ce dernier est censé les protéger. Une situation qui se pose avec autant de gravité pour les maladies rares ou encore les pathologies orphelines. Voici des cas très particuliers qui nécessitent des soins spécifiques qui ne peuvent être dispensés dans notre pays.

Vous pouvez constater que nous sommes en dehors du cadre de la sécurité sociale, cet organisme étant simplement un prestataire de service. Si la loi est respectée, les caisses n’ont pas d’autre choix que de payer. Après tout, elles ne feront que remplir la part du contrat qui les lie à leurs adhérents ou plutôt à leurs cotisants. Ces derniers, et leurs employeurs, paient des charges sociales (des cotisations) pour, en retour, bénéficier du remboursement de leurs frais médicaux. Encore faut-il que la loi soit appliquée, mais surtout que le rôle de la sécurité sociale, et ses relations avec le système de santé, soient clarifiées. Mais c’est là un autre débat.

2 – De quoi souffre notre système de santé en matière de prise en charge à l’étranger ? Dans quel cas peut-on accorder ou non un transfert à l’étranger ? 

Notre système de santé ne souffre pas spécialement du problème des prises en charge à l’étranger. Il est victime de son obsolescence et de la démagogie qui caractérise la politique globale de santé. La médecine est, dans les textes, gratuite mais dans la réalité de nos concitoyens malades, elle ne l’est pas. Je crois que c’est en ces termes qu’il faut poser le problème.

Notre système de soins, la médecine gratuite, a montré ses limites et il ne dispose pas des moyens financiers indispensables pour être à la hauteur de ses ambitions et répondre correctement aux besoins de santé de la population. Sous le fallacieux prétexte que le secteur de la santé n’est pas rentable, les pouvoirs publics ne donnent pas les moyens de sa politique à la gratuité des soins. Le coût de la santé n’a pas été réévalué depuis le milieu des années 80, alors que l’environnement économique national a totalement changé et que le coût global de la vie a été multiplié par quinze. Le budget de la santé pour l’année 2012 est de 405 milliards de dinars, soit 11250 dinars par personne, 106 euros. En 2013, le budget a été réduit à 307 milliards de dinars, soit 8528 dinars par personne, 80 euros. A titre d’exemple, la dépense de santé par habitant en France est de 3430 euros environ. Voilà pourquoi le système de soins algérien est à bout de souffle et que les structures de santé publiques n’offrent plus une médecine de qualité à tous les citoyens. A tous les citoyens, je précise bien car, comme pour la prise en charge à l’étranger, l’accès à des soins de bonne qualité est encore possible dans notre pays pour les privilégiés. En effet, tout le monde ne peut pas prétendre à un scanner ou une IRM, ou encore à des examens biologiques spécifiques, dans nos hôpitaux, mais certains favorisés y ont accès aisément. Toujours les mêmes. Quant au citoyen ordinaire, il doit pour cela s’adresser à la médecine libérale contre monnaie sonnante et trébuchante… avec des taux de remboursement, par la sécurité sociale, dérisoires parce qu’encore figés aux années 80 ?

L’accord pour un transfert à l’étranger doit se faire sur les mêmes critères que ceux qui doivent prévaloir pour accéder aux soins dans des structures de santé spécialisés ou de haut niveau d’excellence. Si la policlinique de proximité ne peut pas prendre en charge la santé du citoyen, parce que celui-ci nécessite des soins spécialisés, il doit pouvoir accéder rapidement à une structure de santé qui dispose des compétences adaptées à son cas. Si sa maladie ne peut pas être soignée dans son pays, la loi – je le répète – oblige les pouvoirs publics à mettre tout en œuvre pour sauvegarder sa santé. Il doit donc bénéficier d’une prise en charge à l’étranger si c’est là l’ultime solution. Un traitement qui doit s’appliquer à tous de la même façon.

3 – Certaines personnes aux contacts « haut placés » peuvent bénéficier d’une prise en charge à l’étranger, d’autres ont accès à ce privilège du fait de leur rang social ou de l’influence qu’ils ont. Une réalité ?

Vous avez raison de souligner cela. Les soins à l’étranger sont servis aux privilégiés du système politique qui règne dans le pays depuis le recouvrement de notre indépendance. Une injustice. Pourtant, la loi algérienne est bien faite. Elle ne fait aucune différence entre les citoyens pour l’accès à des soins de qualité. Que l’on soit un citoyen lambda, « un zaouali », ou que l’on soit ministre ou encore président de la République, l’Etat algérien, faut-il le rappeler « met en œuvre tous les moyens destinés à protéger et à promouvoir la santé… ». Nous ne sommes pas dans ce cas de figure, et ce n’est un secret pour personne que les prises en charge à l’étranger sont attribuées sans retenue pour certains et que les enfants gâtés du pouvoir ont accès à ces prestations même pour des petits bobos de rien du tout. Quand aux autres malades… Je ne peux m’empêcher de penser, à nouveau, à tous nos concitoyens malades du cancer et qui sont condamnés à mourir, dans l’indifférence des pouvoirs publics, parce qu’ils ne peuvent pas bénéficier d’une prise en charge pour recevoir les cures de radiothérapie qui leur sont nécessaires. Un scandale national, une honte pour notre pays.

Comment peut-on expliquer le refus qui a été signifié à cette petite fille d’Aghribs ou encore à cet enfant de Larbaa Nath Irathen qui présentent, pourtant l’une et l’autre, des maladies qui ne peuvent pas être soignées en Algérie? Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il s’agit de pathologies qui ne peuvent bénéficier de toute façon d’aucun soin possible, nulle part ailleurs.

Peut-on en réalité évoquer ce problème de prise en charge à l’étranger sans prendre en considération la nature inique du régime qui nous dirige ? Une gouvernance désastreuse, faite de gabegie, d’injustice et de corruption… et dans la santé, il y a tout cela. L’impossible accès, dans notre pays, à des soins de qualité ou encore à une prise en charge à l’étranger est le condensé de tout cela.

 

http://docteurboudarene.unblog.fr/2014/03/20/pourquoi-les-soins-a-letranger-ne-profitent-quaux-privilegies-du-systeme/

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